Par Virginie Lecat et Olivier Azpitarte
22/12/2010 – Le 15 décembre dernier s’est tenu à Paris le premier Forum sur la sécurité du Golfe pour faire le point sur les stratégies des différents protagonistes régionaux. Au cœur de toutes les inquiétudes, l’Iran justifie aujourd’hui une course à l’armement dans laquelle les intérêts occidentaux ne sont pas étrangers.
La place stratégique du Golfe Persique et ses richesses en hydrocarbures suscitent les interêts les plus divergents. Pour les mettre en lumière, le Centre d’Etudes Euro arabe et l’Institut Euro-méditerranéen ont organisé cette première rencontre d’une trentaine d’experts, enseignants et responsables politiques. Parrainage français oblige, des autorités hexagonales se sont présentées à la tribune : Hervé Morin, ex ministre français de la défense et Hervé de Charrette, ex ministre français des affaires étrangères. Environ 150 invités, diplomates, journalistes et étudiants de l’université Harvard, ont suivi les allocutions en arabe, français et anglais.
Iran, problème majeur et Israël, problème mineur
Dans l’ambiance feutrée des Salons Hoches, les divisions blindées et missiles iraniens ont lourdement pesé sur l’ambiance. «Le plus grand danger pour le Golfe c’est l’Iran et son ambition expansionniste face aux Etats-Unis; l’Iran veut s’imposer comme le gendarme de la région et cela est inacceptable, or nous ne voulons pas que l’Iran fasse la pluie et le beau temps dans le Golfe», énoncait Abdul Khaleq Abdallah, professeur de Sciences Politiques à l’Université des Emirats Arabes Unis.
D’un ton docte, Abdul Khaleq Abdallah captiva l’audience avec une argumentation détaillée désignant l’Iran comme menace potentielle numéro 1 contre la stabilité du Golfe : «La menace iranienne est certes souvent exagérée, mais véritable. L’Iran n’est pas un ennemi pour nous mais un problème. Il ne faut ni dramatiser, ni minimiser : Israël est aussi un problème sur notre échiquier géopolitique. » Reste que le cas d’Israël a très peu été évoqué durant la journée, en comparaison de l’Iran.
Controverse sur la souveraineté d’îlots
« Nous ne voulons rester médusés vis-à-vis de personne, insista Abdul Khaleq Abdallah, et c’est pourquoi les émirats s’arment : notre budget défense a été multiplié par 8 en cinq ans ». En illustration de ce discours pragmatique figurent les signatures de contrats entre les industries d’armement occidentales et les Emirats Arabes Unis – ces derniers mois, notamment, pour l’achat des missiles Patriots.
Les Emirats Arabes Unis sont plus que quiconque dans la région confrontés à ce voisin, au sujet de la souveraineté contestée de quelques ilôts. A ce sujet, précise Abdul Khaleq Abdallah, «le dialogue ainsi qu’un règlement pacifique du problème ont déjà été tentés en vain, car l’Iran refuse toute communication d’après lui laissant comme seul recours à l’EAU la course à l’armement et une augmentation des tensions dans la région ».
Difficile progression du dialogue
L’impression d’un dialogue de sourds s’est dégagée lorsque qu’Ali Nouri Zada, directeur du Centre Arabo-Iraniennes de Londres a réagi en contre-point : «L’Iran, a-t-il appuyé, est tout à fait ouvert au dialogue au sujet des ilots, mais les Emirats Arabes Unis sont bloqués sur leurs positions».
Hervé de Charrette s’est alors posé en réconciliateur : «Faut-il couper la tête du serpent ? pouvait-on lire sur Wikileaks il y a quelques semaines… la réponse est : non ! Pas question de déclencher une troisième guerre après l’Afghanistan et l’Irak. Ce serait la pire catastrophe pour la région. Seules des solutions raisonnables doivent être trouvées passant par le dialogue, les négociations, les pressions afin d’empêcher une nouvelle crise armée dans le Golfe».
Regards convergents en direction de l’Iran
Emrullah Isler, chef de cabinet du premier ministre Turc, a toutefois appuyé en termes diplomatiques le discours d’Abdul Khaleq Abdallah. «Nous voulons limiter les armes de destruction massive au Moyen-Orient. Par conséquent nous refusons qu’un nouvel Etat se dote de l’arme nucléaire» a-t-il affirmé, sans toutefois désigner formellement l’Iran comme une menace pour son pays.
Hervé Morin, pour sa part, ne s’en privera pas : «Tel est le constat des services secrets américains et français : l’Iran représente bel et bien un danger, leur programme n’est pas un programme nucléaire civil, je peux vous l’affirmer», a-t-il indiqué. Si l’ancien ministre français s’est exprimé de façon plus tranchée que le conseiller turque, rappelons que la France a d’autres intérêts dans la région, notamment en termes industriels : la course à l’armement ne se fait pas sans fournisseurs. Or, à ce sujet, impossible de passer le principal fournisseur sous silence…
L’ombre des Etats-Unis
Pour SLD, Abdul Khaleq Abdallah développa donc son analyse au sujet des Etats-Unis : «Le comportement de L’Iran, parfois mal compris, difficile à décrypter, pousse les pays du Golfe dans les bras des Etats-Unis et des occidentaux. Mais nous n’avons besoin de personne pour nous dire quoi penser. J’irai même jusqu’à dire que nous nous méfions de la parole des américains encore plus que de la parole des iraniens». La voix américaine ne sera pourtant pas entendue ce jour-là : aucun intervenant US n’est venu s’exprimer.
Et si la singularité de ce « dialogue de Paris » consistait à discuter de la sécurité du Golfe en l’absence des Etats-Unis ? Si présents dans tous les pays du Golfe par leurs contingents diplomatiques, industrielles et militaires, les Etats-Unis resteront en effet les absents les plus remarquables de cette journée.